Custo diariste

Bien à toi...

Deux ans et demi que nous ne nous sommes pas vu. Quand je pense à lui j’entends sa voix, je peux sentir le contact doux de son regard bleu sur moi, percevoir l’écho de son rire timoré. Je connais chaque détail de sa personne, ou presque. Il a la même peau que moi, fine, mouchetée, roussette, laiteuse et fragile. C’est de lui que je la tiens.
Depuis hier son souvenir abonde sans que je n’y mette de retenue. C’est avec réjouissance que j’accueille les images, aussi lointaines soient elles, elles émergent et sont toutes empruntes de douceur, de gentillesse, d’affection, de tendresse, de bienveillance réciproque. J’ai toujours été sa préférée, sa fièreté.

Cette complicité nous avons du la mériter, user de stratégies pour contourner l’obstacle de rajoutie maternelle, contrer sa perversité… C’est au matin que je venais le visiter, quand elle dormait. L’opposition de leur rythme nycthéméral lui offrait des répis d’autorité, des moments de calme et d’autonomie qu’il aimait me faire partager.
Quand je pense à nous, j’entends les longs récits des moments enfantins qui l’ont marqués, ou le son de la radio qui résonne alors qu’on bricole, nichés, réfugiés tous deux sous la voiture, ou le doux son du vent, proche du silence si précieux alors qu’il m’initiait à la pêche. Je me souviens d’un matin où je m’étais levée avant lui, déterminée à l’accompagner pour comprendre ce qu’il aimait tant dans ces moments de tueries dominicales. Les chiens hurlaient d’excitation pendant que je l’attendais pétrie de froid sur le bas de la porte. Les clicquetis des armes sécurisées me faisaient le même effet. Quelques heures plus tard il écoutait mes discours écolo en tenant son gobelet de café chaud. Il avait laissé passer le gibier et je m’étais saisi des meilleurs moments en l’immortalisant dans un champ brumeux et ensoleillé entouré de ses chiens.

Sa gourmandise m’a toujours fait rire. Lors de la confection de mes premières pâtisserie lors de mes dix ans, il attendait dernière le four en fin de cuisson tant il était empressé de gouter le gâteau. Parfois il restait avec moi pendant plus d’une heure, attendant sa madeleine de Proust. Garant de l’alternance du tour de crêpe pour les petites, attendant que j’annonce l’avant dernière louche de pâte pour qu’il fasse son beignet aux pommes.
Depuis toujours la nature l’inspire, c’est un homme d’extérieur… c’était un homme simple, qui se levait tôt pour apprécier les beautés du monde. Je sais qu’il n’aurait pu vivre enfermé, hospitalisé, dépendant, c’est pourquoi je trouve une mince consolation au choix que la mort à fait pour me l’enlever même en étant aussi brutal.
C’est inondée de lumière de l’entrée où je m’étais réfugiée pour m’épargner des cris des enfants que j’ai appris l’urgence de la situation. Une heure plus tard la voix de S prononçait les mots tranchants de "mort cérébrale" suivit de "je vais lui dire au revoir avant qu’on éteigne les appareils, veux tu que je lui dise quelque chose pour toi?".

La prise de conscience de ne plus jamais le revoir m’a glacé le sang, m’a immobilisé et laissé inerte après qu’on ait raccroché. Mon petit papa...je sens encore la douceur de sa peau sous mes lèvres lorsque je l’embrassais, je peux encore sentir la finesse de ses cheveux que je passais entre mes doigts quand je lui faisais sa coupe, j’entends encore son coeur quand il résonnait dans mon oreille posée sur sa poitrine, ce coeur qui si lâchement l’a trahit en un instant.
Il n’est plus là et c’est avec cette idée qui devra se substituer à la douleur que je vais devoir vivre… Pour l’instant les souvenirs arrivent comme des offrandes tardives que j’emballe de douceur pour pouvoir les choyer le plus longtemps possibles… tout en sachant que je jusqu’à la fin de mes jours il me manquera…