*Une parenthèse*
J’aime cette parenthèse hivernale et familiale où je les retrouve dans ce lieu unique et tout autre, où je me sens chez moi, au plus près de ce que je suis, de ce que je fus. Seul endroit où je me plais à revenir...
Quand je quitte l’autoroute monotone après quelques heures en ligne droite où j’ai joué des mécanismes de conduites soporifiques, où j’ai semé des pensées diaphanes abandonnées dans un sas routier presque intemporel… J’aperçois alors les vignes et ce que je peine à nommer "mon pays" tant je me sens habituellement attachée à aucun lieu, et ca y est, je sais que je ne suis plus qu’à deux pas !
Quand j’arrive sur la petite place d’antan qui pleure de part sa fontaine sa jeunesse d’eau de source, je me plais a contempler encore une fois ses bâtiments si caractéristiques entourés de pierre de tuffeau, et cette étrange pensée sur le fait que le sous sol entier de cette ville est un vrai gruyère, émerge comme une curiosité récurrente qui désespérément tente de m’inquiété sur la longévité des lieux.
Face à cette immense porte d’entrée froide de bleu et de fer forgé on peut maintenant lire un écriteau qui rappelle aux clients égarés que l’heure de la retraite à sonné en ces lieux !
C’est toujours celle que je porte en mon coeur comme ma douce maman qui vient m’ouvrir. On s’embrasse et s’étreint chaleureusement avant que je ne m’engouffre dans ce long couloir dont l’odeur cette fois ci avait changé ! Les effluves indiquant le cabinet et sa stérilisation qui pendant toute ma petite vie avaient imprégnées les lieux, étaient désormais remplacé par une odeur d’agrume produite par les citronniers stockés dans l’entrée pour l’hiver.
"Va embrasser ton père avant de retourner chercher tes affaires, il lit au salon. Ou es tu garée?"... Je passe les portes battantes qui ont survécu aux milliers de passages de la clientèle, elles claquent dans un bruit sourd et là une toute autre empreinte olfactive me surprend !
- Ho ca sent St P... ! Aurais tu ramené toute la lavande du jardin de cet été? ! :-)
La veille un nouveau né est arrivé dans la famille, c’était l’occasion de sortir le champagne avant de commencer le repas en la cuisine avec la douceur du foyer. Je fus bien surprise le second jour quand on a trouvé un nouveau prétexte pour finir cette bouteille, ainsi que le troisième jour… mon père m’a avoué amusé que maintenant ils se faisaient plaisir tous les soirs, Mum avec une petite coupe et lui au wisky ! -"ma tante en buvais deux plein verres Midi et soir et elle a vécu jusqu’à 98 ans!" Je ne me suis pas risquée à parler des effets sournois d’une telle habitude avec un médecin ! ^^
C’est bien fatiguée que j’ai rejoins mes quartiers. A chaque fois que je foule ce vieux parquet craquant je revois en une seconde furtive l’image de cette chambre quand j’étais jeune, avec son alcôve qui accueillait le lit en baldaquin, le portrait de famille sur la cheminée que l’employée de maison avait abimé au coin, cette petite porte du fond qui dévoilait une pièce morte devenue la salle de bain adjacente. En me promenant à l’étage je fus pris de frisson et Mum justifia : "On a décidé de ne chauffer que les deux tiers de la maison maintenant que nous en sommes que deux". Une évidence incontestable quand on frôle les 350m2 !
Plus tard plantée devant la baie vitrée et perchée sur les hauteurs du bâtiment je surplombais le jardin pour en prendre quelques clichés. Le terrain qui s’étend jusqu’à la rivière me paraissait bien épuré en hiver. Il déclinait les bacs de jardinages très esthétique que M a reproduit après avoir vu mon jardinet de ville ! Le mur de pierre du bâtiment qui sert de serre avait été remonté et maçonné, les arbres étaient en cours de taille et les troncs des fruitiers traités, toute la propriété avait été ratissée!...et je réalisais avec étonnement qu’il avait réalisé tout ca sans le jardinier !
J’étais bien sûre ravie de le voir sortir tous les jours investir ce terrain et se faire plaisir, ravie de l’entendre me parler des petits bonheur qu’il s’autorise maintenant en se remettant au sport (il est juste impressionnant avec ses 35km de vtt!). Il semble maitriser la gestion de son temps : "rythmé et discipliné tout en étant constant dans l’effort mais pas rigide, il faut savoir improviser". Alors il favorise judicieusement les activités extérieurs en journée et il ponctue par deux heures de lecture ou de création artistique...
Ce qui m’inquiète ce n’est pas lui mais elle. Toute sa vie elle a papillonné entre le secrétariat, la gestion de la maison, les repas, ses activités créatives… et elle reproduit en retraite le même fonctionnement mais sans le seul repère qu’elle connaissait; l’activité professionnelle de M. De plus maintenant elle gère seule cette grande maison… Elle semble peinée à réorganiser sa vie et a trouver son rythme. Sa maladie récente et son hospitalisation en Asie m’ont amené à tenter de la sensibiliser à reprendre le sport car je vois et m’inquiète à chaque visite du fossé qui insidieusement se creuse entre eux quant à leur potentiel de "bien vieillir"
Ces quelques jours parmi eux ce n’est que du bonheur à chaque instant !
De peur que je m’ennuie elle prévoit toujours des tas d’activités : préparation de confiture, couture, peinture...et un matin passant devant un guéridon j’aperçois un cahier de dessin que je croyais appartenir à ma petite nièce ! Elle m’explique ce que c’est en me demandant de m’assoir ! Je commence à griffonner frénétiquement puis elle me reprends avec sa douceur légendaire : "rhooo mais non ! Assied toi correctement et pas sur une fesse ! Cale ton dos, étend tes gestes, prends le temps de choisir tes couleurs...regarde..." Après dix minutes près de moi à tailler mes crayons et alors que j’étais sceptique et encore perplexe devant ce qui s’annonçait être un coloriage de relaxation, je ne m’étais même pas rendu compte qu’elle n’était plus là et j’avais perdu la notion du temps tout en me vidant la tête! !
Habituellement nous parlons de tout, nous parlons de nous. Cette fois ci bien que l’envie de questionner fut là, bien que j’avais envie de me confier sur ce qui me serre la gorge depuis quelques semaines, je n’ai pas osé.
Au quotidien j’aime observer ces piliers parfaitement imbriqués. Ils me font sourire et me pétrissent de tendresse, quand ma mère parle de M avec admiration après trente ans de vie commune, quand elle l’incite à raconter des histoires d’Afrique toutes aussi vieilles en se préparant déjà à rire alors qu’elle les a entendu mille fois ^^ Ou quand mon père me confie dans le cuisine "je sais que son dernier bilan montre un début de diabète et qu’il faudrait qu’elle se restreigne tout en reprenant le sport mais qu’est ce que tu veux, elle se fait plaisir… " et il ajoute avec un amour percutant : " Elle a pris soin de moi toute ma vie… je sais déjà que je serai amené à prendre soin d’elle".
Je les regarde et je reste impressionnée par leur constance sentimentale sur ces dernières décennies ! Ils s’aiment d’un amour tendre et respectueux et ne semble fait que de subtilités ! Il l’a taquine avec une incroyable facilité mais dès qu’elle fait la moue et tourne le regard il ne passe jamais cette limite. S’en suis quelques taquineries de plus où elle râle un peu pendant qu’il la flatte en tendant une reconquête dont elle ne se joue pas plus d’une minute ! Et ca fait trente ans que ca dure ! :)
Je me dis qu’ils ont eu la chance de s’être trouvé puis d’avoir évolué en parallèle tout en restant compatible, la chance aussi de s’articuler dans leurs différences en restant curieux de se qu’aime l’autre, de s’accorder sur des projets communs ou chacun à trouver ses zones d’établissement. Chacun semble avoir trouvé en l’autre son essentiel : pour ma mère un homme aimant, fiable et fidèle, un protecteur pour elle et ses enfants, un bon père et lui une femme aimante, généreuse,affable, une partenaire de vie tout aussi fiable, constante… des valeurs simples et durables, c’est peut être ca le secret ? Un jour j’oserai peut être briser cet idéal et poser la question qui me taraude parfois : vous est il arrivé de remettre votre couple en cause dangereusement?
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1er Mars : Depuis ce matin je cherche de qui peut bien être l’anniversaire du jour! ? Pourquoi n’est pas noté dans mon appli d’alerte?...et qq heures plus tard : "Mais oui ! :/" Comme quoi ce qui fut un temps important pour moi est bien loin maintenant et trone dans les abimes de mon indifférence au point que ca ne m’évoque plus rien ! Devons nous le déplorer ? Non c’est une bonne chose parce que ca témoigne de la prise de distance saine qui s’impose grace au temps.
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Lectures:
Je faisais une pose cette semaine entre Proust et Shakespears. "Le combat ordinaire" est un ravissement de divertissement dont je pioche une citation:
"Délestée de toute logique la poésie est la seule manière libre de remarquer ce qui est précieux"